Mesh

La maille métallique selon DPA

Dans le droit fil des projets architecturaux, DPA conduit un important travail de recherche sur les matériaux, et utilise notamment très tôt les mailles métalliques. Depuis près de 20 ans, à travers une collaboration étroite avec des industriels, de nouveaux types de tissage et des technologies spécifiques de mise en œuvre ont été mis au point, déclinant les applications textiles de la maille métallique – habit de façade, tissus technique, vêtement d’intérieur, filtre – enrichissant d’autant le vocabulaire et l’expérience de l’espace.

06 | 09 | 2011

Détails de la maille métallique à la passerelle d'Arganzuela

Madrid, Espagne

01 | 09 | 2011

La maille

Par Dominique Perrault

La maille est un matériau qui a cette espèce de qualité, ou somme de qualités, d’être un matériau souple mais en même temps doué d’une structure puisque c’est un tissage avec des câbles. C’est donc un matériau d’architecture. A partir du moment où il y a structure, on peut donc le suspendre, on peut le tendre, on peut vraiment construire avec. Il a donc cette rigueur, mais il a en même temps cette formidable poésie et presque immatérialité de pouvoir être présent, absent, suivant les lumières, que ça soit la lumière naturelle ou bien l’illumination artificielle.
La maille, comme nos vêtement, lie notre corps à notre environnement et suivant la disposition de cette maille elle va créer une géographie, elle va entretenir des rapports géographiques avec ce qui l’entoure, soit pour se protéger, soit pour accueillir, soit pour créer des lieux qui sont des entre deux, des lieux d’une certaine épaisseur qui permettent aussi de gérer des statuts entre le publique et le privé, entre ce qui est de l’entrée ou du seuil par rapport au-dedans. La maille a donc cette espèce de fantastique qualité d’être et de ne pas être, d’apparaître et de disparaitre, et en même temps de donner à voir une situation qui soit plus liée au paysage qu’à l’architecture.  

Dominique Perrault   
26 | 07 | 2011

L'étoffe des héros

Par Francis Rambert

La France, on le sait, est un pays de culture béton, héritage corbuséen oblige. L'art est de faire rimer prouesse avec finesse. Autant de voiles de béton ... Mais si cette matière a pu faire vibrer des générations d'architectes, elle n'a pas su enflammer Dominique Perrault, flambeau de la jeune architecture des années 80 qui, lui, a choisi d'emblée une autre voie: celle du tissage. Car, avant de remporter, à l'âge de 35 ans, « le » concours du plus grand projet de François Mitterrand, il avait fait son entrée sur la scène architecturale en 1987 en signant l'école d'ingénieurs ESIEE à Marne-la-Vallée; un bâtiment parfaitement identifiable vu d'avion: un clavier d'ordinateur géant. Là n'est pas le seul intérêt de ce bâtiment emblématique, car l'entrée tout comme certains de ses plafonds sont traités en textile, d'après une technique dérivée de la voile et autres bateaux de course. Perrault avait ainsi tissé sa première maille ... Indéformable en PVC. À ce moment-là, il ne se doutait pas qu'il aurait à développer ce genre de transfert à de très grandes échelles. Première opportunité: la Bibliothèque nationale de France à Paris où il faut bien, vu la taille « XXXL » du projet, trouver des solutions « industrielles ». Mais si le textile est bel et bien présent dans ce monument - notamment d,ans la salle de lecture des livres rares et précieux où deux bandes de PVC blanc sont unies par laçage - il ne pouvait être déployé sur de grandes surfaces, contrainte incendie oblige. Usure et résistance furent les deux autres critères de choix de la maille d'acier. Pas moins de trois années ont été nécessaires pour mettre au point cette technique jamais appliquée dans le bâtiment. L'enjeu était d'opérer ce transfert de technologie en s'adaptant au prix de la construction. C'est le fruit d'une collaboration exceptionnelle entre un architecte et un industriel, le numéro un mondial du tissage GKD, une entreprise allemande de la Ruhr qui s'est ouvert, au passage, un insoupçonnable marché. Restait à réaliser un test. Le petit bâtiment des Archives départementales de la Mayenne à Laval (une boîte de bois accolée à une boîte de pierre; 1989-1993) a été le champ d'application d'une maille tissée suspendue dans la salle de lecture. Essai convaincant. Le grand rideau de métal a de la tenue. Pas un pli, et assez de noblesse pour former une belle courbure. La Bibliothèque nationale de France est à elle seule un catalogue de déclinaisons de ce principe de maille, de l'architecture au mobilier. De l'extérieur à l'intérieur, autant de tressages dans les espaces qui, inlassablement, cherchent à établir le dialogue entre la chaleur du bois et la froideur de l'acier et du verre.

Cette expérience unique de tissage à grande échelle et sur une grande variété de supports s'inscrit dans le droit-fil d'une logique d'expérimentation et ne ménage pas ses effets. Le premier effet est graphique: recherche de texture, de transparence, de moirage. La maille protège autant qu'elle suggère et permet de voir sans être vu. A sa manière Perrault revisite le moucharabieh... Dans ce jeu de trames, la lumière s'amuse des subtilités qu'offre le mot « filtre ». Prenons l'exemple de la maille spiralée, celle qui habille les pignons des tours sur 80 mètres de hauteur. Les trous des mailles laissent passer la lumière naturelle qui s'entrecroise avec le caillebotis des marches d'escalier. Quant à la lumière artificielle, elle se trouve spectaculairement réfléchie par un grand «tablier de boucher », ce rideau de scène argenté de l'auditorium qui renvoie au lamé de certains costumes. Le second effet est d'ordre phonique. Cette maille qui capte la lumière piège aussi le son, ainsi on ne compte plus les écrans acoustiques ni les batteries de polochons acoustiques en métal équipant de nombreux espaces de la bibliothèque. Ces grands rouleaux comparables à des bigoudis sont suspendus au-dessus de la tête des lecteurs. Le troisième effet s'avère pratique.
« La maille métallique nous permet d'avoir une continuité de matière, sans rupture sur des centaines de mètres carrés» résume Perrault. En témoigne cette peau de métal qui habille, toujours sans faire un pli, les plafonds puis les murs de béton de la grande salle de lecture. Et l'une des pl us spectaculaires applications reste l'immense trémie qui conduit à la salle des chercheurs, ces privilégiés qui, coupés du monde, ont l'esprit dans les livres et la tête dans la forêt plantée au coeur du projet ... Les parois de cet espace vertigineux sont revêtues de gigantesques cottes de maille.

Une tapisserie moderne et monochrome qui ajoute à la dramatisation de l'espace. Mais à l'évidence toute cette démarche vise un autre but : gommer le style, la forme, et toute l'idée de design. À voir ces quatre tours quasi aveugles (car doublées de bois), il est difficile de contredire Perrault sur sa théorie de l'effacement, celle qui préconise d'« évacuer la notion de façade ». Sur ce plan, le complexe sportif de Berlin est exemplaire. La peau des deux équipements semi-enterrés, le vélodrome et la piscine, est unitaire et métallique. Seuls les effets de brillance varient en fonction de la géométrie, le rectangle joue avec le cercle. Le toit comme les façades se composent des mêmes éléments de métal tissé. La « cinquième façade» l'emporte ainsi sur le reste, de puissants ressorts maintiennent la maille à l'horizontale. Le cylindre de 142 m de diamètre est le support de reflets étonnants suivant la course du soleil. « La fiabilité de ce matériau est exceptionnelle, affirme Perrault, on obtient un degré de performance à chaque mètre carré, rien n'est approximatif. »

AA.VV, With,  Barcelona-Basel, ACTAR / Birkhäuser 1999.
26 | 07 | 2011

Maille Mesh

Par Gilles de Bure

Pourquoi la Mesh? Parce qu'au-dela de son sens commun, de son utilisation banale, le mot mesh ouvre la porte à une Infinité de possibles, Littéralement, le mot mesh signifie "maille", voire "toile métallique". Évident, évidence. Justement, peut-être trop évident. Dès l"instant qu'on s'aventure dans toutes les acceptions possibles du mot, l'oeuvre de Dominique Perrault s'éclaire, traverse la maille  se transforme en élément structurant. Selon ses usages el ses qualificatifs, mesh devient tour à tour "réseau", "filet", ou encore "coordonner", "être en Prise"..... Il lui aime même d'aller jusqu'à "engrener" des roues dentées. Autant dire que la boucle est bouclée, et que mesh est plus que constitutif de la pensée el de L'action de Dominique Perrault, tout comme il l'est de la raison d'être et de l'activité des frères Kufferath. Mesh est l'histoire de la rencontre entre une pensée et une technique, débouchant non pas sur la création de nouveaux matériaux, mais bien sur l'invention d'une matière aux effets, aux usages, aux résonances, aux développements inattendus. Une matière à la réalité plus encore dialectique, discursive, scripturale, émotionnelle, sensitive que seulement physique.

Aujourd'hui, les architectes qui font de l'architecture l'élaborent hors de ses champs traditionnels. Mais, paradoxe des paradoxes; dans la grande tradition des lumières, de la découverte, de l'organisation du monde, de la périphérie de la philosophie, de l'anthropologie ... Il convient donc, dès lors, d'annexer les découvertes des uns, de s'emparer des avancées des autres el de tout conjuguer pour formaliser les mutations du monde.

L'architecture est un art lent et lourd, confiait voici dix ans Dominique Perrault. L'inattendu lui donne de la fulgurance et du transport. Être transporté par le génie du lieu comme on pourrait l'être par la musique ou la littérature, ou encore par le formidable champ d'expérience émotionnelle que l'art contemporain a défriché depuis un demi-siècle, voilà qui change singulièrement la relation culturelle et physique que nous entretenons avec l'architecture," Philosophie, pensée, art, musique, littérature, couture, scénographie, ingénierie, technologie". Perrault se nourrit de tout et nourrit lui-même une vie qui ne se vit plus en évolution, mais en mutation, De ces passerelles tendues jaillissent d'autres pratiques, d'autres regards, d'autres réseaux, d'autres correspondances. D'un invité l'autre, se tisse, au fil des pages, un portrait en creux de l'architecte et de l'architecture. Comme se déploie, toute de mesh tissée, une robe couleur du temps.

G. DE BURE, Mesh., France, GKD 10 ans W Design 2002.
26 | 07 | 2010

Le développement des tissus métalliques pour l'architecture et le design

Par Stephan Kufferath, directeur de GKD

En 1992 GKD,fabricant de tissus de fils métalliques ayant des usines en Allemagne, aux États-Unis, en Espagne et en Afrique du Sud, établit un premier contact avec Dominique Perrault pour s'efforcer de l'assister dans son intérêt et sa recherche sur les tissus métalliques devant être utilisés dans l'architecture, plus particulièrement en ce qui concerne le design intérieur de la Bibliothèque nationale de France. Dans des projets précédents, Perrault avait déjà travaillé avec des tissus synthétiques. Mais, pour la bibliothèque, seuls des produits ininflammables, comme les produits métalliques, pouvaient être acceptés. Des aspects techniques très intéressants concernant les mailles d'acier inoxydable ont été découverts tels que la résistance, la durabilité, la rigidité sous tension, l'entretien, les propriétés acoustiques, etc. Les tissus métalliques résolvent souvent simultanément plusieurs problèmes fonctionnels dont l'architecte devrai,dans le cas contraire, se préoccuper au cas par cas.
En plus des aspects purement fonctionnels, des questions de design ou d'esthétique entraient en jeu: les propriétés de réflexion de la lumière par la maille, l'élégance soyeuse du matériau, la semi-transparence variable et l'avantage spécifique de l'entreprise GKD qui peut tisser ces produits en pièces particulièrement larges pouvant aller jusqu'à huit mètres.
Dominique Perrault a commenté lui-même: « Ces larges produits nous ont intéressés comme un nouveau langage architectural nous permettant enfin de nous libérer de l'obligation d'utiliser un grand nombre d'éléments modulaires différents. Avec ces larges tissus, nous obtenions des surfaces qui pouvaient être suspendues d'un mur à l'autre, du mur au plafond, en une seule pièce et sans couture. Cela permet de souligner l'architecture en créant des lieux qui sont, métaphoriquement, évidés , continus, non assemblés: une véritable architecture de masses sculptées. »
Les discussions que nous avons eues avec Dominique Perrault depuis le tout début de notre coopération et de notre recherche nous ont apporté une vision complètement nouvelle de notre produit en même temps qu'elles nous imposaient de nouveaux défis techniques. Les entreprises de tissage de grillages et de toiles métalliques sont habituées à travailler avec des tolérances très réduites, une précision qui, en ce qui concerne les ouvertures des mailles, les diamètres des fils métalliques, la finesse du produit, fait partie des conditions courantes des clients de l'industrie tels que les constructeurs d'automobiles, les compagnies d'aviation, l'industrie alimentaire et bien d'autres.
L'approche de Perrault était différente: il voulait mettre l'accent sur la vigueur et l'irrégularité de la maille métallique. C'est pour cela qu'il nous a guidés vers des modifications de produits correspondant aux besoins de l'architecture. Pendant de longs mois d'un travail d'essais très proche et intensément interactif, Perrault et GKD ont testéde nombreuses solutions alternatives d'ouverture, de formes et de diamètres de câbles et de fils métalliques afin de « donner aux mailles une forme, une coupe à la manière des couturiers ». Le premier travail-test que GKD a réalisé pour Dominique Perrault n'était
pas pour la bibliothèque, mais pour les Archives départementales de la Mayenne, à Laval. Perrault avait imaginé une grande toile courbe, du plafond jusqu'au mur, qui est encore aujourd'hui mentionnée comme l'un des exemples maîtres pour l'utilisation appropriée des tissus métalliques dans la construction.
Après cela, nous nous sommes concentrés sur les plafonds de la Bibliothèque nationale de France, qui étaient constitués de diverses natures: ondulés ou tendus, faits de différentes mailles, correspondant aux différentes salles de lecture. Au total, GKD a fourni pour la Bibliothèque nationale de France une douzaine de mailles po.ur une douzaine d'applications différentes dans l'édifice. Après ce point de départ, GKD a répondu aux demandes de divers autres architectes et projets un peu partout dans le monde. Cela prouve que la recherche de base entamée par Dominique Perrault a indiqué la bonne direction. Plus nous continuons notre recherche et plus nous découvrons de caractéristiques des points de ,vue technique, fonctionnel et ·esthétique. Cela confirme notre opinion selon laquelle les tissus métalliques en architecture ont une espérance de vie plus longue que celle qu'une simple tendance de la mode pourrait leur donner.
Notre travail avec Dominique Perrault s'est poursuivi avec l'énorme projet olympique à Berlin. Là aussi, l'approche a été complètement différente. Mettre une nappe gigantesque sur deux tables dans un jardin et en même temps leur donner la réflexion de l'eau d'un lac était tout simplement difficile à concevoir pour nous. Ce projet nous a montré à nouveau l'imagination et la créativité de Dominique Perrault. Nous l'avons suivi techniquement, mais n'avons compris que lorsque nous avons vu le fantastique résultat. À l'heure actuelle, GKD travaille avec Dominique Perrault sur plusieurs nouveaux projets. Perrault ne copie jamais quelque chose du passé, il veut toujours développer davantage dans une direction différente. Nous sommes heureux de croire que jusqu'à présent nous n'avons fait que quelques pas sur un chemin encore long à parcourir.

AA.VV , With,  Barcelona-Basel, ACTAR / Birkhäuser 1999.